L’arche de Noé
Quand il s’y installe définitivement, en novembre 1415, Benoît XIII a de longue date préparé sa retraite à Peñiscola. Le château, ancienne possession des Templiers, lui a été offert quelques années plus tôt – probablement en 1409, après le concile de Perpignan – par le grand maître de l’ordre de Montesa. C’est un bastion quasi imprenable, édifié sur un promontoire rocheux qui s’avance sur la Méditerranée, telle la proue d’un immense vaisseau, et culmine à une cinquantaine de mètres au-dessus des flots. En léger contrebas, le petit village de pêcheurs, relié à la côte par une étroite langue de sable, est lui-même ceinturé de solides murailles. Plusieurs sources jaillissent à l’intérieur de l’enceinte, garantissant l’alimentation en eau potable en cas de siège. Enfin, s’il s’avère nécessaire d’évacuer les lieux, un escalier taillé à même le roc, l’Escalera del Papa Luna, épousant la falaise depuis la cour d’Armes du château jusqu’au niveau de la mer, permet d’accéder rapidement aux galères pontificales. Mais le pape ne sera jamais condamné à cette dernière extrémité.
À l’intérieur de la forteresse, tout rappelle l’ancienne rési-dence d’Avignon. Les tapisseries de Flandre et les objets liturgiques qui ornaient jadis le Palais des Papes sont désormais exposés dans le vaste Salon Gothique ou dans la salle du Conclave. Les quelque deux mille manuscrits récupérés entre 1403 et 1411 sont répartis, comme à Avignon, entre la Grande Librairie et le studium du pape, dont les fenêtres donnent sur l’église du château, aménagée en basilique pontificale. Les plus belles pièces du trésor – reliques de la Sainte Croix, calices d’or et d’argent, bijoux, vaisselle d’or, monnaies, pierres précieuses – sont, quant à elles, conservées dans une salle enterrée, qui fait office de Trésor Bas et dont seuls le pape et son camérier possèdent la clef.
C’est là, dans ce navire de pierre, à bord duquel ont pris place ses plus fidèles partisans, que Benoît XIII va conduire l’Eglise durant les dernières années de sa vie, en résistant à toutes les tempêtes et en bravant ceux qui espèrent encore le voir renoncer à sa mission de vicaire du Christ.
Mais l’Eglise lui survivra-t-elle ?